Nous voici à suivre
les aventures de Olay, héros de Moins que zéro Imbibés d’alcool et de drogues jusqu’à perdre tout sens de
la réalité, ses amis sont à la recherche de sensations fortes qui
leur donneraient enfin le sentiment d’exister. Ils sont obsédés
par le sexe, la mort. Snuff movie, pédophilie, sadisme,
prostitution, voyeurisme morbide : ils ne reculent devant rien.
Entre deux séances chez son psy, Clay les suit, cotonneux,
apathique, hagard, vaguement nauséeux. Il tente parfois de se
raccrocher à des souvenirs qui n’arrivent pas à le réconforter :
sa grand-mère aimante, une amitié d’enfant. Mais rien ne parvient
à le raccrocher à l’existence : il reste obnubilé par un panneau
publicitaire sur lequel est écrit « disparaître ici ».
Fuir, il faut impérativement qu’il fuie cette ville qui le rend
fou, cette usine à rêves délétère, avant qu’il ne commette le
pire, l’irréparable.
Ce n’est pas la première fois que Los Angeles apparaît dans le
monde artistique comme une menace, un synonyme de dépravation et
d’aliénation. D’après Mike Davis dans « City of quartz », il y aurait eu plus d’une centaine d’artistes,
écrivains ou réalisateurs, qui auraient fantasmé la destruction de
cette ville de Los Angeles, par le feu, l’eau, un tremblement de terre ou une
catastrophe nucléaire. Clay lui, vit l’effondrement de
l’intérieur. Son esprit est phagocyté, hypnotisé par le
tourbillon sonore et visuel de la ville.
Brecht, en exil, comparait la Cité des anges à l’enfer .
Pour Truman Capote, c’était une ville cauchemar, une fissure dans
le mur . Ellroy en a exploré les bas fonds, Chandler en
a critiqué la corruption. Dennis Cooper y a initié un voyage au
bout de l’extrême, glaçant, macabre, violent, obscène. Il
partage avec Ellis cette description d’une adolescence en
déshérence, anesthésiée, livrée à elle-même, insensée au sens
propre du terme. Perte des repères, des valeurs, frontière floue
entre le fantasme et le réel (et là on pense inévitablement au
Mulholland drive de Lynch), décrochage, chute dans l’amoralité la
plus totale : Clay rappelle le héros de Paranoïd park, de Gus van
Sant, avec quelques années de plus.
A la fin du roman, le jeune homme décide de ne pas rester à Los
Angeles et sa conclusion est comme un soulagement, celui d’être
passé très près de la catastrophe
Moins que zéro, de Bret Easton Ellis (trad. Brice Matthieussent, éd. 10/18)