Dans la société africaine, la femme est
traditionnellement la gardienne du foyer. Et de la maisonnée à
l'environnement immédiat, il n'y a qu'un pas. Un bon pas, certes,
mais qu'une poignée de femmes ont allégrement franchi pour gérer
la Réserve Naturelle qui borde leur village de Popenguine, au
Sénégal. Un engagement citoyen qui se préoccupe aussi de
transmettre le souci de l'environnement à tout un chacun. Rencontre
avec des « mamans » qui ont mis leur légendaire débrouillardise
au service du développement durable de leur communauté.
Des hurlements de chacals déchirent soudain le
calme du petit matin. Nous nous arrêtons quelques instants Plus
rien. A pas feutrés, nous suivons le chemin qui serpente le long de
la falaise jusqu'au Cap de Naze. Pfffouatt pfffouatt pfffouatt. Avec
fracas, un groupe de pintades prend son envol sous notre nez dans un
nuage de poussière. Le silence retombe, ponctué de cris d'oiseaux.
Doucement, Ousmane Senghor, notre guide, nous raconte la Réserve naturelle de Popenguine-Guéréo, à Petite-Côte au Sénégal. Cette
zone de collines boisées en bordure de pitons rocheux surplombant
l'océan a été mise sous protection par la Direction des Parcs
nationaux en 1986. « Ici, le gros problème d'environnement, c'est
la désertification, explique le jeune homme. D'abord, parce qu'il
pleut moins, depuis une trentaine d'années. Mais ce phénomène est
aussi lié aux défrichements massifs. La création de la réserve a
notamment pour but de lutter contre cette déforestation,
essentiellement liée à la coupe abusive de bois par les villageois
et à l'agriculture. »
Une poignée de femmes
Jusque là, une histoire très normale en terre
africaine. Et pourtant, la réserve de Popenguine n'est pas tout à
fait comme les autres. « Ici, il y a une expérience qui fut
longtemps unique en Afrique », rapporte encore Ousmane. En effet,
après l'arrivée des agents des Parcs nationaux, une poignée de
femmes du village ont décidé de prendre en main la gestion de «
leur » domaine et de participer aux activités de restauration du
mil ieu. Pour Woulimata Thiaw, la charismatique présidente du mouvement, cette initiative semblait aller de soi : «
les agents viennent ici puis reparte nt au bout de quelques années. Nous , nous vivons là ; donc la meilleur façon de protéger
l'environnement, c'est que les populations locales se lèvent pour
travailler avec eux. » C'était en 1987. Woulimata fondait le
Regroupement des Femmes de Popenguine pour la Protection de la Nature
(RFPPN), réunissant 119 mères de famille et un homme parce qu'il
était présent le jour de cette assemblée.
De l'énergie à revendre
Bénévoles pendant plusieurs années, les «
dames-nature » se sont mises au travail avec une pelle et une
brouette. Après la réalisation d'une bande pare-feu sur le pourtour
de la réserve, elles se sont lancées dans le reboisement en créant
une pépinière de jeunes plants (baobabs, acacias, prosopis, etc.).
Pour l'arrosage quotidien, elles devaient alors faire la navette de
la pompe du village à la plantation distante d'1,5 km, avec
d'énormes seaux d'eau sur la tête. D'année en année, là où il
ne restait plus qu'une forêt clairsemée, squelettique, la nature a
repris ses droits. Et les résultats ne se sont pas fait attendre :
chacals, mangoustes, civettes, porc-épics, singes pata et près de
200 espèces d'oiseaux ont de nouveau installé leurs pénates dans
la région. Mais reboiser ne réglait pas complètement la question.
Car en créant la réserve, on privait tout bonnement les villageois
de bois, combustible essentiel à la vie quotidienne. Un nouveau
chantier pour les femmes de Popenguine. Pour cela, elles ont aligné
une série de mesures : organisation d'un stock de bonbonnes de gaz -
jusque là mal distribué - et de charbon de bois, création d'un
bois communautaire avec des arbres à croissance rapide. Dans la
foulée, une collecte (avec tri) des ordures fut organisée, et un
compost mis en place, pour enrichir le sol de la pépinière.
Sous la protection de Maam Cupaam
Fortes de ces premiers succès, ces dames à la main
verte ont fait des émules parmi leurs consoeurs des sept autres
villages bordant la réserve. Chaque bourgade a vu naître son
groupement féminin ; depuis, ce sont 1555 membres qui s'activent
pour la restauration de « l'Espace naturel communautaire », baptisé
« Kër Cupaam », du nom du génie féminin local qui - dit-on -
veille sur les lieux. Ponctuellement, des partenaires ont apporté
leur aide technique ou financière. Telle la Fondation Nicolas Hulot
qui finança la construction d'un « campement touristique ».
L'avantage : désormais, les femmes de Popenguine peuvent facilement
accueillir les stagiaires étrangers qui font le voyage, intrigués
par cette expérience « d'éco-développement ». Et puis, cela reste
la seule véritable source de revenus du Collectif.
Labo à ciel ouvert pour les écoles
Mais qui va reprendre le flambeau quand les matrones
prendront de l'âge ? Pas d'inquiétude, la relève est déjà
assurée. Depuis quelques années, un corps de volontaires est venu
en renfort ; formés par les agents des Parcs nationaux, ces jeunes
(filles et garçons) des villages alentours construisent dans la
réserve des diguettes anti-érosion, aménagent les sentiers,
repiquent des palétuviers dans la mangrove de la Somone, participent
au comptage des espèces animales et végétales Ce sont eux
également qui prennent en charge l'accueil des groupes d'élèves
sénégalais pour des sorties nature. « Cet endroit est un labo à
ciel ouvert pour les enfants des écoles, s'enthousiasme Ousmane. Et
la sensibilisation à l'environnement doit commencer très tôt.
Nous, les jeunes volontaires, nous essayons de donner à ces élèves
des réflexes d'éco-citoyens ; on leur explique à quoi sert une
réserve, quelles sont les gestes à faire ou à ne pas faire (ne
rien couper, ne pas introduire de nouvelles espèces, ne pas chasser,
etc.). On leur donne des notions sur l'écologie de la réserve
(faune et flore), et sur les problèmes environnementaux et
climatiques qu'on a ici. Bien sûr, on leur montre aussi avec quels
moyens on essaye de lutter contre ça. Et on les implique dans les
actions de gestion. Par exemple, chaque année, les élèves et
lycéens des environs viennent donner un coup de main pour réaliser
les pare-feu autour de la réserve. »
Prêcher la bonne parole
Pendant ce temps, les femmes se mobilisent pour que
leur action rime aussi avec développement économique et social du
village : alphabétisation, micro-crédit, banque de céréales,
formations sur la santé familiale Mais si elles s'enorgueillissent
du chemin parcouru depuis leur engagement, elles avouent aussi que
tout n'a pas fonctionné comme sur des roulettes. La collecte des
déchets, par exemple, bat aujourd'hui de l'aile. « Les femmes du
Collectif ont fait beaucoup de sensibilisation et de formation des
gens du village sur la gestion des déchets ménagers pour le
compost, raconte Abdulaï, un des volontaires ; mais elles ne
parviennent pas à rémunérer le charretier qui ramasse les ordures
; il y a des fûts au niveau de chaque maison, mais certains ne
payent pas ou irrégulièrement ; du coup, les villageois finissent
par reprendre leurs anciennes habitudes en jetant leurs détritus sur
un terrain proche de chez eux. » Malgrès ce type de couac, les
femmes de Kër Cupaam ne baissent pas les bras et cherchent des
améliorations à leurs différents projets. Leur organisation en
faveur du Développement Durable a déjà fait école dans beaucoup
de réserves du Sénégal ; Woulimata est régulièrement sollicitée
pour prêcher la bonne parole hors de son éco-village. D'ailleurs,
avec un grand sourire, elle s'excuse de devoir nous quitter : elle
doit animer un séminaire de deux jours sur le Développement Durable
dans une ville voisine. « C'est important de partager notre
expérience, pour que d'autres communautés prennent conscience que
nos actions ont des effets dans le futur, dans celui de nos enfants,
de nos petits-enfants. C'est aussi ça, la durabilité : nous devons
nous assurer qu'il y aura une continuité. »
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