mercredi 31 mars 2021

Certaines n’avaient jamais vu la mer, Julie Otsuka

Dans Certaines n’avaient jamais vu la mer, son deuxième roman, Julie Otsuka revient sur un sujet tabou aux États-Unis : l’histoire de ces milliers de jeunes femmes (souvent vierges) qui ont quitté le Japon dans le premier quart du XXe siècle et ont débarqué aux USA pour se marier à des hommes qu’elles ne connaissaient pas et qu’elles n’avaient pas choisi. 

Outre le rêve d’un ailleurs, la traversée et les premières désillusions, le roman revient surtout sur ces mariages forcés mais aussi sur les conditions dans lesquelles ces exilées vivaient ainsi que sur ce qu’elles pouvaient subir au quotidien comme haines racistes, rejets, humiliations,… jusqu’à Pearl Harbor où l’ignominie atteindra des sommets. Pour raconter cette histoire terrible, Julie Otsuka a choisi de faire parler plusieurs femmes.

 Pas de personnage à proprement parlé ici mais des milliers de voix en une qui se succèdent (sous la forme d’un nous par exemple), des incantations qui peuvent rappeler celles des chœurs du théâtre grec antique. Une langue très bien restituée par la traduction de Carine Chichereau.

dimanche 21 février 2021

Ne jouez pas avec le feu de P. Robinson

L'inspecteur Banks est de retour pour un nouvel épisode de ces enquêtes criminelles. Un personnage situé entre le Maigret de Simenon, le Bosch de Connelly et le Rebus de Rankin. Un homme divorcé, absorbé par son travail, solitaire, adepte du bon whisky et de la bonne musique ! 

Deux péniches prennent feu sur un canal du Yorkshire. Accident ? Suicide ? Crime ? L'équipe de l'inspecteur Banks est déjà sur les lieux pour diriger l'enquête qui s'avère très déliquate : un feu qui se propage sans laisser de preuves, sans révéler quel était la personne visée. Un second un peu plus tard, alors que l'enquête s'avère au point mort. Et puis derrière le pyromane, se cache une trouble affaire d'oeuvres d'arts contrafaites. Des Turner. Le polar avance à pas lents, mais le suspens, brûlant comme le feu, dévore chaque page pour offrir une enquête réussie, dont Banks gardera à coups sûr un souvenir amer...En attendant le prochain épisode ! 

 Peter Robinson Ne jouez pas avec le feu Spécial suspens, Albin MIchel 22€, sortie mai 2005 500pages.

samedi 30 janvier 2021

L’Usine de Philippe Napoletano, une dystopie moderne

Bien entendu, tout est parfait dans ce monde. Un peu comme dans les écrits ou les maquettes de Claude-Nicolas Ledoux : tout le monde a la pêche et sourit puisqu’on a du travail, qu’on mange à sa faim et qu’on boit des bières bien noires en dansant et en se tapant dans le dos. La ville est propre, carrée et au moindre incident débarquent deux brancardiers. Pour divertir la population et permettre de garder une meilleure cohésion, on organise aussi des émissions de télévision sirupeuses et des partouzes dans les arrières-salles des bistrots. 


Et même si de temps en temps le mystérieux Bureau des Directions change les plannings et les affectations, personne ne semble vraiment s’en plaindre. Bref, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles jusqu’au moment où Courneuve lève un lièvre : le jour de son arrivée une femme se suicide devant lui. Héritant (par hasard ?) de son appartement, il commence à percevoir une présence à ses côtés, une présence qui se fait de plus en plus… pressante. 

Et quand Courneuve découvre qu’il n’est pas le seul à ressentir la présence d’un spectre, commence une enquête qui l’entraînera au cœur de la machine, au cœur de l’usine, au cœur d’un système parfaitement huilé… Philippe Napoletano, tout au long de son roman découpé en procédures et en fragments, adopte le ton adéquat et un style qui n’est pas sans rappeler les contre-utopies citées supra. Il a su trouver la bonne distance entre le narrateur et son sujet si bien que le lecteur flotte dans cet univers déconcertant. Loin d’être aseptisée, son écriture parvient à changer régulièrement de registres, notamment lorsqu’il est question du corps. Les scènes d’orgies sexuelles sont beaucoup plus incarnées, c’est évident, que la description des avenues de la ville. Les hallucinations, les rêves et les scènes de fièvre sont également réussies. En avançant, je me disais qu’un roman comme celui-là ne pouvait finir, ne pouvait pas bien finir. Et c’est souvent le problème des contre-utopies. 

Mais dans L’Usine, j’ai trouvé que l’auteur s’en était bien sorti et que ce n’est pas tant une morale qu’on recherchera ici mais plutôt une atmosphère, une écriture visuelle et une voix à suivre.

vendredi 25 décembre 2020

L’Usine de Philippe Napoletano, une dystopie moderne

J’ai eu la chance de lire en avant-première L’Usine de Philippe Napoletano, roman publié aux éditions D’un Noir si Bleu en début de semaine. Je n’avais rien lu encore de cet auteur mais le titre de son roman m’intriguait, cette phrase aussi : « Ayez confiance en l’usine, car l’usine vous fait confiance. » J’avais jeté un œil à l’argumentaire sur le site de la maison d’édition et avais vu qu’il s’agissait d’une « interprétation actuelle des dystopies classiques, une relecture de 1984, mais à l’heure du monde 2.0 et du Quantified self ». Des contre-utopies (ou dystopies), on en connaît déjà et on en a lu pas mal aussi : 1984 bien sûr, Fahrenheit 451 de Bradbury, Nous autres de Zamiatine, La Planète des singes de Boulle ou encore Le Meilleur des mondes de Huxley, parmi les classiques du genre, et dernièrement je chroniquais sur ce blog L’Employé de Guillermo Saccomanno que j’avais beaucoup aimé, alors pour dire vrai je suis entré prudemment dans ce roman. 

 Peut-être dire avant toutes choses qu’il faut terminer ce roman pour le classer dans les contre-utopies. Car au départ, il est plutôt construit comme une utopie (ici on cherche le bonheur des habitants) et ce n’est que progressivement qu’il basculera du côté de la contre-utopie (à mesure que le héros, Courneuve, arrivé d’on ne sait où, s’impliquera au cœur de celle qui fait vivre la ville entière : L’USINE). Au début j’ai pensé aux Saisons de Maurice Pons. Sans doute parce qu’on ne sait pas d’où vient le personnage, sinon qu’il a parcouru le monde, qu’il a vécu de petits boulots et qu’il a faim. Aussi, comme Siméon, parce que débarqué de n’importe où et qu’il est de bonne constitution, il va très vite s’intégrer aux mœurs et coutumes ainsi qu’aux habitudes de la ville, de l’usine et des habitants-salariés. 

Mais la comparaison avec le roman de Maurice Pons s’arrête là. Parce que très rapidement, Courneuve va faire son trou ici, va rencontrer quelques habitués des bars de nuit puis les représentants du syndicat ainsi que les « Marginaux ». Et que nous passerons rapidement des Saisons à Nous autres voire au film The Truman Show.

mardi 24 novembre 2020

Des histoires interractives pour la jeunesse avec la tablette XXL

Outre les iPads, les organisateurs ont installé une tablette géante, de la taille d’une table basse ou de la fenêtre de votre salon. C’est la deuxième année que cet outil baptisé Tablette XXL est mis à disposition du public, pendant que Google numérise. Reprenant les spécificités des tablettes individuelles, elle contient les applications choisies pour le salon 2012 (très peu de eBooks en revanche). Tactile et de très grand format, celle-ci a été imaginée pour permettre de découvrir sur écran des histoires réalisées par des créateurs de littérature jeunesse. 
 
Depuis vendredi, les enfants y viennent accompagnés de leurs parents ou de leurs enseignants et testent ensemble ces nouvelles pratiques de lectures interactives (récits linéaires ou aléatoires, images animées, jeux, lecture audio ou non…). 
 
Pour cette saison 2, vous y trouverez 15 applications et ebooks. Certains ont été réalisés à partir d’un album imprimé, d’autres ont été créés spécialement pour ce support. Outre Fourmi, vous trouverez de plus en plus de lives en ligne : 14 autres histoires dont Uropa de Bernard Islaire et Laurence Erlich (Casterman, Pépite de la création numérique 2012), Balloon paper app (éditions Volumiques), Conte du haut de mon crâne de Séverine Vidal, illustré par Claire Fauché et lu par Cécile Givernet (La Souris qui raconte), Histoires farfelues de Sophie de Quatrebarbes, Eve Sarradet, design de Vincent Farges (Tralalère), Joue avec… (collection Joue avec / Revue Dada), Le marchand de sable de Manon Aidan et Yanick Gourville illustré par Cyril Jedor (hocus bookus), Les 4 saisons d’Antoine de Gordon et Chloé Jarry, illustré par Emmanuelle Tchoukriel (Camera Lucida productions, France 3 Ludo et France Télévisions Distribution), Les pensées de Manon D, adaptation du livre éponyme de Sophie Dieuaide (Casterman), Ma Poire de Stéphane Kiehl (e-Toiles), Mon chemin, adaptation du livre éponyme de Vincent Gaudin et Sandra Poirot-Cherif (Hatier Jeunesse), Pompidou kids (Gallimard Jeunesse et les éditions du Centre Pompidou), Stella et Sacha (Zinc Rœ Productions Inc.) et Voyage au centre de la Terre, adaptation du roman de Jules Verne (L’Apprimerie).

vendredi 16 octobre 2020

Avis sur Un fils de notre temps, d'Horwath

Bref roman d'un homme sensible au drame de la déroute des valeurs humaines provoquée par la montée du totalitarisme/fascisme en 1938 en Allemagne.

Pourquoi déroute ? Parce que pour être "de son temps", il suffit de se laisser fasciner par l'espoir d'un monde plus simple, idéal, apparemment généreux, aux valeurs accessibles à tous qui est proposé par cette nouvelle idéologie. Et quelle fascination pour ces jeunes allemands abandonnés par leur société, sans travail, sans place dans le monde, lorsqu'on leur promet un rôle, une dignité ! Et que crèvent ceux (peu nombreux) qui défendent encore les "vieilles" valeurs.

Mais peu à peu la réalité reprend ses droits : ces valeurs simples qu'adopte le héros sont en fait la haine, l'intolérance et la violence ; ce monde victorieux qu'ils va bâtir est un échec économique où la misère s'aggrave, cette place qu'il trouve est celle d'un pion humain que l'on exploite et qui retrouve la même solitude et le même désespoir quand il est usé. Notre héros, qui cesse alors d'être "de son temps" en retrouvant trop tard ses valeurs humaines profondes, n'a plus l'énergie pour en accepter leur fragilité et leur inhérente incertitude. Non, il n'y a pas de solution simple…

Fascisme, communisme, plaies encore saignantes de notre siècle, confusion de l'état et de la société, destructeurs avoués des valeurs "de l'ancien temps", êtes-vous vraiment exorcisés ?
Un superbe petit roman (il se lit en deux heures) au style incisif, et qui n'a rien perdu de son actualité.

Editions Gallimard (l'étrangère)


samedi 29 août 2020

Le Livre de Saladin de Tariq Ali

‘Le Livre de Saladin’ est un ouvrage volumineux qui, une fois dépassé l'obstacle d'un style un peu rigide et austère, nous plonge dans une époque historique dont nous connaissons finalement peu de choses, en dépit de toute la littérature qui est née autour. 

Ce deuxième volume du ‘Quintet de l'Islam’ fait partie de l’ensemble romanesque que Tariq Ali a initié au moment de la première guerre du Golfe, en réaction aux hostilités dirigées contre la religion musulmane. L'intellectuel anglo-pakistanais - par ailleurs leader de l'extrême-gauche britannique - décrit l'envers du décor de la guerre entre le calife musulman Saladin et les Croisés pour la reconquête de Jérusalem, esquissant en filigrane la vie du leader kurde musulman, devenu l'une des plus importantes figures historiques de l'islam. C’est un personnage complexe, ambigu et totalement ambivalent que l'on découvre progressivement tout au long d'un récit qui alterne les scènes du passé et du présent, pour rendre toute son épaisseur à ce héros dont la détermination demeure sans faille.

L'originalité du roman réside aussi dans le fait que Tariq Ali brasse la grande histoire à travers une multitude de petites histoires dont le mémorialiste, Ibn Yakoub, érudit de confession juive, consigne les détails jour après jour. Et l’on s'étonnera longtemps de découvrir toute la richesse de la culture musulmane et la liberté de moeurs qui prévalait dans le secret des palais et des harems à cette époque. L'on gardera aussi de ce livre la modernité des thèmes abordés : la question des femmes en islam et la cohabitation des différentes religions dans une même aire géographique. Un livre monumental qui, s'il ne devait avoir qu'un mérite, serait celui de bouleverser la vision classique de cette période de l'histoire et d'en offrir un angle de vue radicalement neuf.


Le Quintet de l’Islam - Tome II, de Tariq Ali,

Editeur : Sabine Wespieser, 2008